Les élections en Côte-d’Ivoire ont été drôlement chaudes. Elles ont dû passer au deuxième tour, un tour extrêmement mouvementé. Le pays se retrouve maintenant avec deux présidents : un élu et reconnu par la communauté international, puis un qui refuse de laisser le pouvoir. La situation est loin d’être facile pour les habitants. Les fonctionnaires sont incapables d’obtenir un salaire, le prix des produits de base a doublé dans plusieurs cas, le pays est divisé, encore…
Je pourrais vous en parler beaucoup, c’est un sujet de l’heure ici, d’autant plus que plusieurs burkinabés ont eux-mêmes habités en Côte-d’Ivoire quelque temps ou encore ont de la famille qui y est installée. Cependant, je souhaite plutôt partager une histoire qu’un ami a généreuse partagé avec moi et qui est venue me toucher droit au cœur.
Depuis les premiers jours de mon arrivée à Léo, j’ai rencontré David. Il était l’un des garçons du grain (lieu de rassemblement pour boire le thé). David m’a, à multiple reprises, fait bien rire et souvent réfléchir en partageant, sans hésitation, son opinion sur une multitude de sujets. Le dernier soir avant mon départ de Léo, David m’a invité à prendre un pot d’aurevoir avec quelques autres amis. Quelques jours seulement après l’annonce des résultats en Côte-d’Ivoire, il s’agissait bien sur du sujet de conversation du groupe.
Puis, à un moment, David nous a confié, « j’y étais moi, quand le conflit a éclat », en faisant référence à la récente guerre civile qui a sévit en Côte-d’Ivoire. Au fil de la discussion, David s’est de plus en plus ouvert à nous. Il nous a partagé qu’il avait vu les rebelles tuer sa petite sœur devant ses yeux alors qu’il était arrivé trop tard pour leur prouver qu’elle était bel et bien burkinabée. Puis, quelques jours après le décès de sa sœur, David s’est fait prendre par les rebelles à son tour. Sachant très bien ce qu’ils avaient fait à sa petite sœur, David a tout de suite accepté de faire ce qu’ils lui diraient de faire. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à souffrir l’entraînement militaire des rebelles. Puis, une fois qu’il ait réussi, il a été jeté dans la forêt avec d’autres jeunes comme lui. La consigne était claire, seulement la moitié d’entre vous peut ressortir de cette forêt. C’est ainsi que pour sauver sa propre vie, David a dû tirer sur un ami. Pendant des semaines, il a connu les atrocités de la guerre et a survécu avec l’énergie du désespoir. C’est un malheur qui est parvenu à le sauver. Effectivement, le père de David est décédé au Burkina Faso alors qu’il combattait dans les forces rebelles. Étant le fils aîné, son père ne pouvait être enterré sans sa présence. Il a donc réussi à s’enfuir et à négocier avec tous ceux qui ont tenté de l’arrêter et à finalement se réfugier au Burkina Faso auprès de sa famille. Ce sont les yeux encore vitreux que David a partagé cette parcelle de vie avec nous.
Tout au long de l’histoire, j’avais la chair de poule sur les bras, le cœur gros et mon cerveau qui ne faisait que penser à tous ces romans et films que j’ai lus et écoutés au sujet des enfants soldats. Voilà, j’en avais un devant moi. David, mon ami, avait vu de ses yeux le côté le plus noir de l’homme, il avait dû de ses mains, tuer pour sauver sa vie…
Une fois de plus, j’ai pensé à toute la chance que j’ai eu de naître dans les conditions dans lesquelles je suis née. J’aimerais tellement pouvoir soulager David de sa souffrance, mais non, elle est là, bien présente en lui et ce à jamais…